Un pipe, un bateau, un phare: trois repères, trois amers dans la vie de Bernard Rubinstein. Les uns ne vont pas sans les autres pour ce journaliste spécialisé dans le nautisme, fréquemment par mers et par vaux, souvent la pipe en bouche, parfois chineur — en quête d'objets maritimes.
C'est dans son appartement parisien qu'il nous reçoit, au milieu d'une incroyable collection de phares modèles réduits fort bien disposés, partout, sur des étagères qui couvrent les murs. Pleins feux sur cet amateur de voiles et de volutes.
Chez Rubi, comme l'appelle Kersauson, les places sont chères: des phares partout, dans le salon, la salle-à-manger, le bureau. Des phares de tous styles et de toutes matières — des plus élégants aux plus fantaisistes. Des phares décoratifs, en jouets, en flacons de parfum, en briquets... Il leur a consacré un beau livre, titré "Éclats de phare" paru chez Glénat. Chinés aux puces de Vanves ou de Clignancourt, ces sentinelles modèles réduits côtoient une kyrielle d'objets et d'affiches, tous en liaison avec le monde maritime. Des pièces parfois kitsch, comme ces souvenirs de séjours balnéaires naguère vendus dans les bazars. À ces objets divers, coquillages et crustacés, en plastique et tocs, il a aussi consacré un ouvrage, "Souvenirs des bords de mer" publié chez Gallimard. « Je collectionne toujours dans le but de faire un livre », explique-t-il, comme pour justifier cette sympathique addiction liée à l'appel du large que ce Rennais d'origine ressent depuis sa jeunesse.
« J'ai eu la chance de faire un premier tour du monde avec Tabarly. C'était en 1973 », se souvient Bernard Rubinstein, pour qui cette rencontre a été l'élément déclencheur: c'est là qu'il a pensé devenir journaliste nautique. Ce qu'il est depuis 1974, année de sa première pige dans "Neptune Nautisme". Bien qu'officiellement retraité, pas question pour lui de calme plat: il continue sa route avec "Voile Magazine" et "Le Chasse Marée". Et s'investit dans l'association "Éric Tabarly" qui a pour but de faire naviguer les Pen Duick. Mais, écrivant désormais chez lui, il peut fumer en paix, échappant aux interdits frappant les lieux collectifs.
« J'ai toujours fumé la pipe, dès le collège. La première, j'ai dû la piquer à mon frère ». Quand l'on fait remarquer à Rubi que le marin à la pipe fait partie de l'imaginaire collectif, il pense que c'est pour des raisons bêtement pratiques que bon nombre de navigateurs ont tenu la bouffarde en bouche en même temps que la barre en main — même si cette tradition se perd. « C'est pratique en bateau, mais je fous parfois du tabac partout dans le cockpit. Les gars râlent un peu. Et sur le pont, par grand vent, la pipe se fume toute seule! ».
Contrairement à ce que voudrait aussi l'imagerie populaire, Bernard ne fume pas de pipe à couvercle bourrée au tabac Capstan navy cut. Quand il part en reportage pour tester de nouveaux bateaux, Bernard Rubinstein embarque avec lui cinq ou six bouffardes dans un sac qu'il prépare en même temps que le ciré et les bottes. « Pas trop belles, parce qu'elles peuvent être malmenées. Il arrive que je casse des tuyaux, quand par exemple on manoeuvre rapidement, penché en avant. Un coup de winch, ça peut faire des dégâts! ». Quand un accident arrive, une fois rentré à Paris, il fait appel au réparateur Thierry Melan.
« J'aime bien les Ser Jacopo », précise-t-il, tout en allumant néanmoins une Dunhill de forme billiard, achetée d'occasion par internet sur le site du Cadre Noir. Il y met du Saint-Claude. Parfois coupé de Dunhill Royal Yacht — tiens donc — ou de Davidoff, voire de Larsen, qu'on lui apporte d'Espagne. Son mélange ainsi constitué, il le conserve dans un grand pot avec humidificateur, d'où il prélève quelques dizaines de grammes pour en emplir sa blague en cuir.
Sa première pipe de la journée, Bernard la fume après le café. La dernière, après le dîner, parfois accompagnée d'un fond de whisky au goût profond ou d'un excellent armagnac.
S'il aime être sur l'eau, ce n'est pas toujours pour être mené en bateau. Il se rappelle un séjour passé dans le très beau et très ancien phare de Cordouan, en Gironde. « J'ai pu fumer librement, les types étaient très sympas ».
Certes, Rubi possède moins de pipes que de phares. Mais il en dénombre tout de même environ vingt-cinq, droites ou à peine cintrées, disposées dans chaque pièce de l'appartement. Elles attendent la main du capitaine. Avant de partir en mer à la saison propice, il les sort pour prendre l'air dans Paris. Et fume même en scooter, sans nier le danger que cette habitude peut représenter en cas de collision ou de chute!
« J'adore les prendre, les toucher... Quand il fait froid aux puces de Vanves, tôt le samedi matin, elles me réchauffent les mains ». Bernard se souvient d'autres moments de grâce, loin des brocantes parisiennes. Quand, en pleine nuit, il doit prendre son quart. Un café et une pipe pour se réveiller. « En Écosse, l'été dernier, au petit matin, quand j'ai pris mon petit déjeuner et allumé ma première pipe du jour sur le pont, c'était un régal . Je ne pourrais pas naviguer sans pipe ».
Clin d'oeil à son attachement à l'objet: dans les colonnes de "Voile Magazine", les tests de bateaux sont accompagnés d'un petit pictogramme en forme de pipe, moins radical sans doute que le pouce d'un célèbre réseau social. Pipe vers le haut, c'est que le voilier tient la route. Pipe vers le bas, les points négatifs prennent le dessus.
Bernard Rubinstein a toujours son sac à pipe prêt à embarquer. À la Rochelle, prochainement, pour une série de reportage intitulée "Un homme, un bateau". Mais ses pas de reporter et photographe peuvent aussi le mener dans l'Oise pour un sujet sur la maison Rivierre, la dernière usine française de clous pour la construction navale, ou pour s'intéresser à la fabrique des graisses Belleville — entreprise ancienne qui fait notamment des lubrifiants pour bateaux.
Chaque marin aime autant les départs que les retours. Ainsi va la vie de Rubi: flux et reflux, gros temps et accalmie. La capitale reste son port d'attache. Dans son abri, chez lui, c'est un peu Paname-sur-Mer: des phares dont il est le seul gardien, des livres de voyages prêts à s'ouvrir, une vieille radio à antenne gonio dans un coffret en bois vernis, calée sur les grandes ondes de France Inter — peut-être pour capter la météo marine —, des pipes échouées au bord d'un cendrier. Et Bernard, qui fourmille de projets.
Texte: N.S. / Photos: Sténopé
Tweet Pipe Gazette le 20 juillet 2020 |
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10 commentaires :
Magnifique reportage: la mer, les pipes! Merci
Avec plaisir.
Oui, superbe portrait. Voile et pipe, l'accord parfait!
Comme toujours (je viens d'en lire quelques autres que j'ai découverts) ces portraits sont aux petits oignons. Merci Nicolas et Sténopé et bravo à Bernard Rubinstein pour sa collection de phares et de pipes ! Je crois qu'il y a encore pas mal de marins qui fument la pipe.
encore une fois un superbe portrait qui fait du bien aux épicuriens.
Je ne peut que dire la même chose que les autres commentaires:bravo pour ce portrait bien fait et pour les photos.
Merci à vous tous pour vos commentaires. Et, en effet, les photos prises par Sténopé sont pour beaucoup dans l'attractivité de ce nouveau portrait de fumeur de pipe.
Jean rentre de vacances et c'est bien agréable de découvrir ce reportage. Merci.
Alexandre
J'aime beaucoup votre blog. Je fume beaucoup de Savinelli, mes préférées.
J'apprends ce jour seulement le décès de Bernard Rubinstein:
https://voilesetvoiliers.ouest-france.fr/culture-voile/bernard-rubinstein-est-mort-de-pen-duick-vi-a-la-presse-nautique-une-vie-de-roman-68615d36-ad90-11ea-b90c-be10648cd944
J'adresse à ses proches mes sincères condoléances et me rappelle sa gentillesse et sa passion communicative pour le bateau, les phares et l'accessoire du marin: la pipe.
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