Lunettes façon bésicles, rouflaquettes, pipe au bec. Benoît Debecker affiche un style intemporel bien à lui. Ce dessinateur et auteur de contes, amateur de ligne claire et de bouffardes classiques, nous ouvre son atelier de la rue du Faubourg-Saint-Martin, dans le X° arrondissement de Paris.
Nul ne pourrait deviner que, une fois franchie la porte cochère de l'immeuble, un tel calme soit possible dans ce quartier plein de tumultes. Pourtant, au fond d'une cour pavée et fleurie, l'atelier qu'occupe Benoît semble protégé du temps qui passe. Son occupant lui aussi, ne cédant à aucune mode tout en suivant sa propre ligne, influencée par celles d'Hergé, de Tomi Ungerer et de Jacques Tardi pour le dessin — encre de chine ou aquarelle —, celle d'un peintre des bords de Marne d'un roman de Modiano pour l'allure, pipe en bouche bourrée au Caporal.
Son loft respire. Des épreuves aux murs (les pages de ses prochains albums), de larges tables de travail et un coin plus intime dédié à ses pipes et ses réserves de tabac. «Le syndrome de l'écureuil», dit-il pour expliquer la grande quantité de boîtes en attente d'une future et peut-être lointaine ouverture.
Autour d'un verre, Benoît croque sa carrière en quelques traits. Il écrit et dessine pour la presse et l'édition. Longtemps, il s'est concentré sur les publications pour la jeunesse, notamment pour le magazine "Pomme d'Api". Avec "Le premier Noël des animaux", paru en 2003, il a connu un grand succès grâce au soutien de la FNAC qui avait mis dans sa sélection ce livre pour les petits. «Je me suis ensuite tourné vers les adultes avec différentes publications, avant de revenir vers les enfants». Actuellement, il passe d'un univers à l'autre, terminant "Charivari", un conte pour les jeunes à partir de 6 ans, tout en donnant la dernière touche à l'album "Les Frères Paletotd", destiné aux adultes.
Extrait de la maquette d'un album à paraître pour Noël 2016 |
«Oui, je fume en dessinant, sauf quand je fais de l'aquarelle, pour éviter des accidents avec la cendre, s'amuse Benoît, répondant ainsi à une question sur ses habitudes liées à la pipe. J'en fume six à huit par jour, la première avec le café du matin, la dernière le soir tard en lisant».
Ses débuts? Il se rappelle ses 16 ans, quand un cousin belge distillant des effluves de Clan lui avait donné l'envie de franchir le pas. «J'ai fait des pieds et des mains auprès de mes parents pour qu'ils m'offrent une pipe courbe avec tuyau en corne que j'avais repérée dans un bureau de tabac de Ménilmontant». Il l'a eue, sa première bouffarde, mais l'engouement du début a fait long feu. «En fait, je ne l'ai pas beaucoup fumée, je n'osais pas m'exposer avec. Finalement j'ai arrêté».
Ayant passé la vingtaine, Benoît Debecker a remis son tuyau en bouche et allumé son fourneau plus régulièrement. Quelques années plus tard, son installation près de l'avenue de Clichy s'est révélée décisive. «J'étais quasiment voisin de Gilbert Guyot qui tenait une superbe boutique. On le voyait travailler derrière la vitrine». Bien que blanc-bec face à un artisan au verbe haut, Benoît a assidûment fréquenté le magasin parisien. «J'achetais toutes mes pipes chez Guyot, j'en ai une dizaine. Je trouve qu'il bossait vraiment bien». En effet, de belles bruyères. Mais lorsque je lui parle des tuyaux en résine à la lentille plutôt épaisse et du système de pas de vis pour le montage tuyau/tige, il m'explique que ça ne le gêne pas le moins du monde.
Lorsque Gilbert Guyot a pris sa retraite et a fermé boutique, Benoît s'est senti un peu seul. Il pensait même que c'était fini, qu'il n'y avait plus de pipier à Paname. Jusqu'à ce qu'il découvre La Pipe du Nord et Pierre Voisin, alors qu'il passait par hasard boulevard de Magenta. «C'est là que j'achète toutes mes pipes maintenant», dit Benoît, peu friand des acquisitions sur simples photos via Internet. Les pipes, il aime les toucher.
«Combien ai-je de pipes actuellement ? Oh, une trentaine de bruyères, une quinzaine d'écumes et autant de pipes en terre. Je les garde toutes». Ne courant pas après les grandes marques onéreuses, il exprime sa préférence pour les droites de forme classique. Saisissant une Chacom, il se rappelle l'avoir achetée à Quimper et l'avoir inaugurée dans le train, au retour. En cette ère du tout début du TGV, un Bretagne-Paris, compartiment fumeurs, laissait le temps de culotter une pipe. Sa Morel de forme Naja, pas si classique que cela, il en est particulièrement fier: «Une trouvaille miraculeuse dans un vide-greniers. Elle est superbe».
Bruyère, écume, terre: quelle qu'en soit la matière, une pipe doit être fumée. «J'ai commencé à vraiment m'intéresser aux tabacs à l'âge de 30 ans. Le Capstan était alors mon quotidien, mais je fumais aussi du Dunhill Standard Mixture, du Early Morning Pipe et du Three Nuns».
De nos jours, il revient ponctuellement au latakia, mais il a découvert les tabacs bruns grâce à sa fréquentation du forum Le Tasse-Braises. «Je connais surtout le semois Manil, la Brumeuse. J'ai aussi découvert le nouveau Scaferlati Caporal, en blague plastifiée. Il a moins d'additifs que lorsqu'il était en cube. C'est rare que l'évolution se fasse dans ce sens !»
«Pour moi, le tabac brun est un tabac d'été, associé au odeurs de pastis qui se répandent à la terrasse des bistrots. Avec les mélanges anglais, c'est davantage l'automne, par temps de pluie».
Cependant, son tabac de tous les jours, celui vers lequel il revient sans cesse, c'est le 1637 de Traditab. «Une vraie révélation. J'aime bien les tabacs assez puissants, comme le Peterson Irish Flake et le Peterson Perfect Plug».
Deux heures ont passé. Benoît allume une écume ajourée bourrée au Bleu, prévoit son tabac du soir, feuillette un vieux catalogue Manufrance pour y trouver des croquis et de la documentation — tiens, ils vendaient aussi des pipes à la Manu ! Il a du pain sur la planche pour tenir les délais et sortir cinq albums d'ici juin prochain et "Charivari" pour Noël 2016. Benoît Debecker n'a pas souvent le temps de prendre des vacances. Mais de s'échapper le soir en lisant Giono, tout en tirant sur une pipe débordant de gris, si, ce temps-là, il le prend.
Texte: N.S. / photos: Sténopé
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18 commentaires :
Une superbe rencontre et un récit d'un fumeur de pipe passionnant . Je partage l'engouement pour la pipe du nord et son excellent et très sympathique pipier.
Jack
Quel joli portrait de l'ami Benoit. merci nicolas de mettre en lumière ce fumeur de pipe passionné.
Ce cher Benoit (Stout sur le Tasse Braises) est quelqu'un de très sympathique, convivial et mérite amplement ce portrait .
Très bon souvenirs des deux soirées une chez Luc et une à la pipe du Nord .
Merci Nicolas pour ce très beau portrait et pour un voyage dans un passé qui ne me rajeunit guère. La boutique Guyot, ses pipes magnifiques me rappelle des souvenirs d'enfance lorsque j'accompagnais mon grand-père dans ses ballades dans Paris.
Sinon, j'ai beaucoup ri avec les aventures pipiesques des deux gentlemen crocodiliens, outre le fait qu'expliquer les bases aux débutants est toujours utile. Vivement un album complet dédié à l'univers de la pipe dans la même veine et félicitations à son auteur.
Merci pour ce beau portrait.
Oh oh, on a omis de dire que Benoit est aussi un fin cuisinier...
Gavroche
Un fumeur sympatique et un dessinateur talentueux. Merci pour ce reportage.
Bravo pour ce beau reportage d'un passionné tranquille!
Bravo a vous cher Nicolas pour ce (ces) magnifiques reportages, c'est avec un plaisir sans cesse renouvelle que je parcour votre site.
Cordialement Vincent
Merci, Vincent. Et à vous tous pour vos commentaires.
Merci Nicolas pour ce beau portrait.
J'ai la chance de connaitre le bonhomme et le lieu,
et tu as su parfaitement nous faire ressentir
l’ambiance paisible de l’atelier et la sympathie du personnage.
Et je confirme que Benoit est un excellent cuisinier,
ce qui est somme toute normal pour un homme de gout.
Il y a longtemps que je n'ai pas commenté, pourtant je lis souvent Pipe gazette. Bravo pour ce portrait et salut à ce fumeur sympa Benoît.
En relisant l'article j'aime bien le passage sur les lentilles épaisses de pipes Guyot. Benoit dit qu'il s'en fiche. Ca me fait penser à ce que je lis sur Fumeursdepipe.net : ils ont reçu une Castello, la pipe du groupe, qui a une lentille épaisse. Certains ralent d'autres ne sont pas gênés. Il en faut donc pour tous les goûts. Pas de standard, pas de doxa.
Il faudrait que Benoît nous parle de son expérience avec ses Guyot.
Ayant hérité de mon grand-père, d'une vingtaine de ces pipes, ma déception fut grande lorsque j'ai voulu rallumer la flamme du passé. En résumé, la lentille, que dis-je ! Vu l'épaisseur, le terme ancien de "bouton", est plus adapté. Le perçage circulaire du tuyau est à 2 mm ! Le floc à vis d'une grande fragilité doit être manié avec prudence et s'encrasse vite. La résine est aussi dure et peu agréable que l'acrylique sous la dent. Enfin, même en fumant lentement un tabac très sec, toutes mes courbes glougloutent et ne passent évidemment pas le test de la chenillette. En gros, le même problème qu'avec mes Albuisson avant modification. Par contre, le flammage des têtes lisses est superbe, les sablages profonds du niveau des Dunhill des années 30-40 et les bagues sont particulièrement belles et bien travaillées.
N'ayant pas le coeur de faire modifier les pipes de mon grand-père, je les conserve ainsi et ne les fume qu'avec du Semois en coupe fine car les blend latakiés, trop gras, bouchent les tuyaux. Un tuyau large, plat, percé à 4,3 mm avec une lentille concave à l'anglaise, bien affinée, ouverte en V à la française et un floc qui s'emboîte parfaitement dans la mortaise, n'était manifestement pas une des préoccupation du Maître-pipier de l'avenue de Clichy ... Mais peut-être suis-je devenu trop exigeant aujourd'hui ?
Salut Jacques,
Ha ! les lentilles Guyot... ça, on apprécie ou pas ou, plus exactement, ça dérange
ou pas (vous apprécierez la nuance).
Pour le reste , je peux t'assurer que non seulement je n'ai jamais rencontré sur ses
pipes aucun des problèmes que tu mentionnes, mais tous ces points-là me donnent au
contraire entièrement satisfaction, ce qui fait de mes Guyot parmi mes meilleures
fumeuses.
Le passage de la chenillette est sur toute absolument exemplaire, même sur la fleur,
et les flocs (en os de cheval) n'ont pas bougé depuis plus de 25, voire 30 ans.
En revanche, je n'en ai pas de courbes (sauf une magnifique fleur), n'en fumant pas
vraiment et pas du tout à l'époque; et je regrette aujourd'hui de ne pas posséder
une de ses courbes à perçage circulaire.
Est-ce que les pipes de ton grand-père ne sortiraient pas des mains de Guyot père ?
Le fils, Gilbert, avait gardé l'empreinte de son père sur ses propres pipes "H.
Guyot", pour Henry Guyot.
Hello Benoît,
Concernant les lentilles des Guyot, surtout sur les courbes, elles sont assez déroutantes. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on en a sous la dent ! De vraies pipes pour carnassiers mordeurs de tuyaux, comme tes crocodiles ... Par contre, bien bloquées dans la machoire, on peut allégrement fumer tout en conduisant, ça ne bouge pas et la résine, à défaut d'être confortable, est d'une solidité à toute épreuve.
Les deux seules pipes droites (néogènes sculptées de motifs floraux ou animaliers) que j'ai pu récupérer sont, hélas, avec des tuyaux en corne et ont vécus. Une restauration complète chez Jean Nicolas va s'imposer si je veux les réintégrer dans une rotation. Toutes les autres, (Oom Paul, full Bent, Acorn) présentent, des problèmes plus ou moins importants de condensation en bas de tige ou fond de bol. Cela ne génait absolument pas mon grand-père, grand amateur de "Gros cul" français comme la majorité des pétuneurs de l'époque. Mais vouloir fumer autre chose que du gris ou du kentucky en coupe fine dans ces pipes est une gajure, faute de ne pouvoir insérer une chenillette pour absorber l'excès d'humidité ou de
dévisser le floc à chaud.
Ce que tu me dis du marquage est intéressant, lors de mon retour demain sur le continent, j'ausculterai ceux-ci pour t'en dire un peu plus. Mais, de fait, certaines pipes m'ont l'air très anciennes et il n'est pas impossible qu'elles soient de Guyot Père, (notamment une très belle Oom Paul sablée à fourneau très haut (un peu comme Chimney), non signée, qui fait assez IIIème République et qu'il faudra que je te montre à l'occasion).
Il n'en demeure pas moins, (si on excepte le perçage inadéquat des pipes courbes), que toutes ces pipes sont remarquablement exécutées et constituent un bel exemple d'un savoir-faire artisanal français pas si lointain.
A Jean-Claude:
Je pense qu'il y a au fond une erreur de description au sujet des Castello. Pour moi, les lentilles Castello ne sont pas épaisses, mais hautes, c'est-à-dire qu'elles se calent bien derrière les dents. En tous cas, c'est ce que je trouve sur les deux pipes de Cantu que je possède: tuyau acrylique au bec fin et lentille haute et peu large. Ca me va.
Mais il est vrai que la question de la lentille est subjective et dépend de la dentition de chacun.
A mon sens, un bec* trop épais, en revanche, ne fait le bonheur de personne.
*terminaison du tuyau, juste avant la tentille.
Tout à fait d'accord avec Nicolas. Pour être en train de fumer une Castello Bent Old Antique et disposant d'une Zulu et d'une Bulldog Sea rock, on ne peut pas dire que les lentilles des Castello soient réellement épaisses. En comparaison, les lentilles des Guyot courbes de mon grand-père sont 4 fois plus épaisses et une 1,5 fois plus hautes. A côté, ce sont presque des boutons de . .. porte !
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