Deux-cent-trente-six. Oui, Pedro est à la tête d'un cheptel de 236 pipes. En homme très organisé, il peut donner la provenance de la plupart d'entre elles, qu'elles aient été acquises dans une boutique de Rome, dans un magasin de Paname ou via un site internet. Dans son appartement parisien, Pedro nous reçoit pour le café. Pause pipe après le déjeuner.
Pedro travaille dans le conseil pour le secteur bancaire et financier. Grâce à cette activité, il est amené à voyager. De chaque déplacement, il rapporte un souvenir. Devinez quel genre de souvenir ? Pas de boule à neige ni de petite cuillère décorée. Non. Des pipes. "Dès que je pars en voyage, je regarde avant où je peux trouver un magasin ou un artisan", dit-il tout en allant chercher une belle Foundation by Musicò achetée à Rome lors d'un séjour familial, dans la boutique Becker & Musicò. Il se rappelle un bon moment passé avec Massimo Musicò, dans ce temple romain de la pipe. Et se remémore ensuite les deux heures partagées avec le pipier Kostas Gourvelos dans son atelier d'Athènes. Au fil de la discussion, Pedro va et vient, et pose peu à peu quelques dizaines de pipes sur la table basse du salon qui, rapidement, affiche complet. Se côtoient alors dans un amoncellement joyeux des droites, des courbes, des lisses, des sablées, des gainées de cuir...
Quelques pipes de Pedro |
"J'adore l'objet, j'aime beaucoup fumer mais je n'ai aucune dépendance. Parfois, il m'arrive de ne pas fumer pendant trois semaines", explique-t-il, en précisant que pour fumer la pipe, il a besoin d'être détendu. L'exact opposé du fumeur de cigarette, qui espère se calmer en tirant sur sa cibiche. Pedro met la pipe sur un piédestal, tandis que d'autres fumeurs ne la considère que comme un outil.
Des folies pour une belle bruyère
La liste des artisans et des usines dont il apprécie le travail est aussi une invitation au voyage: L'Anatra — l'une de ses préférées est une poker courbe qu'il aime poser sur son bureau —, Amorelli, Vauen et Stanwell notamment. Mais aussi Peterson, dont il goûte le "côté rustique et tout terrain".
"Je ferais des folies pour une belle bruyère", confesse Pedro. Ses recherches sans fin et ses goûts éclectiques l'amènent parfois à acquérir des pipes sinon rares, du moins originales; comme ces deux Wanta en céramique, qu'il n'a d'ailleurs pas encore fumées. Ces bouffardes à double paroi sont une fabrication du néerlandais Zenith >.
Deux pipes en terre Wanta |
"Mon père était officier au long cours et il fumait la pipe, mais je ne l'ai jamais vu pipe au bec. En revanche, j'ai vu un oncle et mon grand-père fumant". Vers l'âge de 17 ans, sa mère lui a acheté sa première pipe. "J'ai tout de suite aimé. La deuxième, c'est mon oncle qui me l'a offerte pour mon bac. Et ma femme m'en a offert un grand nombre". Mais la boulimie — appelons cela ainsi — a véritablement débuté il y a sept ou huit ans. Des bruyères, surtout, mais également des pipes en terre. "J'aime bien aussi les écumes, c'est l'inverse de la bruyère: pas de culot, pas de risque d'humidité et une grande légèreté".
Un recensement méticuleux
Bon gestionnaire maîtrisant parfaitement les subtilités informatiques, Pedro ouvre son ordinateur portable dans lequel il a créé un tableau répertoriant la moindre de ses bouffardes, avec pour chacune d'entre elle le lieu, la date d'achat, les caractéristiques principales — qu'il s'agisse d'une acquisition lors de ses pérégrinations réelles ou de ses voyages sur la Toile.
Cependant, sur les 236, dont 64 avec bague argent, 32 Peterson, 10 L'Anatra et 18 en céramique — la précision, toujours la précision ! — , il n'en fume qu'une soixantaine.
Un coffret de L'Anatra |
"J'aime tellement l'objet que je me dis parfois que c'est dommage de fumer avec. Et puis c'est assez pénible de commencer à culotter", estime Pedro, dont les belles bruyères, les terres et les écumes se partagent entre Paris et la Normandie où il passe la plupart de ses week-ends, en amoureux de la campagne et en chasseur passionné d'origine solognote. Il aime d'ailleurs comparer la bruyère d'une belle pipe, au noyer de la crosse de certains beaux fusils : "Dans les deux cas, l'artisan a usé de tout son savoir-faire pour choisir un bois sans défaut, le façonner avec passion et enfin s'appliquer à faire ressortir de belles veines ou un aspect particulier du bois qui donnera à cet objet son côté unique".
"Ce que j'adore, c'est fumer en été le soir, dehors, ou hiver à la chasse, quand il fait plus froid". Son meilleur souvenir de fumeur le ramène en Bretagne: "Je roulais en décapotable sous un ciel étoilé, le long de la rivière de Morlaix. Le parfum du tabac se mêlait à l'odeur de varech. Il faisait un peu frais".
S'agissant des tabacs, il n'a pas de religion toute faite. D'ailleurs, n'affectionne-t-il pas davantage les pipes que les tabacs ? "J'ai commencé avec l'Amphora vert et le Flying Dutchman. Maintenant, je fume du Dunhill Flake, et je vais tester le Peterson Wild Atlantic et le Samuel Gawith Celtic", déclare Pedro. Peut-être montre-t-il ainsi, sans la verbaliser, l'évolution de ses goûts vers des tabacs plus naturels — tout en gardant une tendresse pour les aromatiques, comme le Stanwell Mélange.
Un fumeur de pipe n'en a décidément jamais fini. Il avance, ignore les chemins rectilignes et ne se prive pas de faire un pas de côté. Il aurait tort de s'en priver.
texte: N.S. / photos: Stenope
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14 commentaires :
Sympathique portrait de Pedro. C'est un plaisir de savoir qu'il y a des fumeurs de pipe un peu partout, qui vivent plus ou moins caché. Pedro est-il déjá allé à Berlin. Je dois y aller l'hiver prochain et je cherche une pu deux adresses, disons les plus intèressantes.
Je ne sais pas si Pedro connaît Berlin, mais j'ai eu l'occasion d'aller il y a quelques années chez Tabak und Pulver:
http://www.pipegazette.com/2009/11/berlin-tabak-und-pulver.html
Depuis, des copains m'ont indiqué cette excellente adresse: Der Pfeifenladen.
http://www.derpfeifenladen.de/
Ce que j'aime dans le portrait de ce fumeur de pipe c'est la manière dont il conçoit la vie ....no stress.
Merci Nicolas pour le reportage.
Jack
Merci pour ce reportage. Comme Jack, j'adhère au calme de ce monsieur. Et je crois que dans la finance il en a besoin :)
Il serait intéressant de voir si Pedro abandonne complètement les "aros" dans quelques temps. La logique le voudrait s'il découvre les plaisirs des tabacs purs ou plus ou moins purs. Chaque fois que j'y redoute, je me dis "plus jamais"...
Merci Pedro et Nicolas. Lecture intéressante, on se sent avec vous.
Oui, beau portrait. Je regrette juste que ce fumeur de pipe soit aussi chasseur. Je trouve que ça ne va pas ensemble. AMHA.
Les Zenith, quel pied !
C'est surprenant de dire que chasse et pipe ne vont pas ensemble. Peux-tu préciser stp.
Je ne suis pas chasseur moi-meme mais je connais pas mal de chasseurs qui fument et pas de fumeurs qui chassent.
Et puis il y un certain nombre de pipes qui sont produites avec des décors ou des scènes de chasse (notamment en Autriche ou je suis allé cet été).
Désolé, j'ai rectifié une erreur de saisie qui prêtait à confusion.
C'est surprenant de dire que chasse et pipe ne vont pas ensemble. Peux-tu préciser stp ?
Je ne suis pas chasseur moi-meme mais je connais pas mal de chasseurs qui fument et pas mal de fumeurs qui chassent.
Et puis il y un certain nombre de pipes qui sont produites avec des décors ou des scènes de chasse (notamment en Autriche ou je suis allé cet été).
Si je puis mettre mon grain de sel, j'ajoute que la pipe de forme très courbe et à foyer haut et profond appelée parfois "OOm Paul" est aussi nommée "chasse" en français
La philosophie du fumeur de pipe (calme, comtemplatif) versus le chasseur (à l'affut, prédateur). C'est l'image que j'en ai.
Beau portrait merci.
Chasseur et fumeur de pipe moi même, un seul commentaire me viens, fumeur et chasseur, l'époque veux que nous soyons onnis par la populace, c'est ainsi... ainsi naquis le bon esprit sans doute...
Vincent Frenot
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